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Nouveaux médicaments & relations patients-soignants

Parmi les médicaments nouvellement mis sur le marché, certains constituent des innovations thérapeutiques importantes tant par leur gain d’efficacité clinique que par l’amélioration de la qualité de vie qu’ils procurent. Pour autant, il ne faut pas nier l’ancienneté de certains d’entre eux, mais parmi les plus récents, beaucoup apportent de nouvelles perspectives thérapeutiques.   C’est le cas des anticorps thérapeutiques, dernières générations de biomédicaments, notamment utilisés dans le traitement de maladies chroniques inflammatoires ou de certains cancers.

Des molécules complexes

Les biomédicaments sont des médicaments d’origine biologique au sens où ils sont produits par des cellules vivantes (biosynthèse) contrairement aux médicaments classiques qui sont issus de la synthèse chimique. Hormis les classes les plus anciennes de biomédicaments (vaccins, insuline), les dernières générations de biomédicaments ont des structures moléculaires et des mécanismes d’action complexes. Les bénéfices et les risques (possibles effets indésirables, possible perte d’efficacité à terme) induits par leur prescription sont alors au cœur de la décision médicale partagée afin de « croiser au mieux les préférences du patient et les données probantes de la médecine » (Olivia Gross, docteure en santé publique).

Le rôle de l’éducation thérapeutique

Les biomédicaments étant des médicaments injectables, les dernières innovations thérapeutiques ont aussi résidé dans l’arrivée sur le marché des formes sous-cutanées de certains traitements. Le choix entre deux voies d’administration du traitement (voie sous-cutanée à domicile ou voie intraveineuse à l’hôpital) fait donc aussi l’objet d’une décision médicale partagée. L’éducation thérapeutique du patient devient également indispensable pour qu’il puisse être de plus en plus autonome dans la prise de son traitement. En s’administrant son traitement, le patient gagne en autonomie, s’affranchit des contraintes d’une hospitalisation de jour et devient un acteur à part entière de son parcours de soins. « Rapidement, j’ai voulu faire les injections moi-même. Pour moi, c’était important d’être indépendant et de quitter un peu ce milieu hospitalier » (Corine Chillou, maman d’un enfant hémophile). Pour autant, l’accompagnement du patient ne doit pas être négligé. Les séances d’éducation thérapeutique (ETP) ont vocation initialement à former le patient au geste technique d’auto-administration, au respect de règles de sécurité sanitaire et à l’auto-surveillance. Selon Olivia Gross, l’ETP ne doit pas se réduire à cet objectif technique mais doit « viser l’amélioration du pouvoir d’agir des malades chroniques », c’est-à-dire la capacité du patient à prendre des décisions éclairées mais également « l’acquisition de compétences psychosociales pour faire valoir ses droits et communiquer avec son entourage ». Avec l’arrivée de l’ETP, cela a amené l’idée que les connaissances allaient être thérapeutiques. Pour ce faire, l’ETP peut donner lieu à des entretiens d’1h/1h30 entre l’infirmière et le patient, à la création d’ateliers thématiques où les patients sont libres d’échanger. Ces ateliers sont parfois animés par des patients-intervenants. 

Un pouvoir d’agir croissant

Les patients ont de plus en plus de pouvoir sur leur santé, notamment grâce aux connaissances dont ils disposent. Ainsi, comme le souligne Guillaume Gras, infectiologue, dans une étude qu’il mène actuellement avec d’autres chercheurs sur le VIH, ils font appel à des « experts scientifiques » qui ne sont autres que les patients eux-mêmes.

Mêler savoirs savants et savoirs expérientiels

Madame Chillou souligne l’importance de l’association dont elle fait partie. Il s’agit d’un « véritable soutien » qui permet d’échanger avec des personnes vivant les mêmes choses (dans son cas, être parent d’un enfant ayant une maladie chronique). Le recours des malades aux associations de patient et leurs interventions dans des forums pour échanger de l’information montre que les patients ont besoin d’échanger des conseils ou de partager leurs expériences individuelles. C’est pourquoi, la participation de « patients-intervenants » lors des séances d’ETP est souhaitable. Olivia Gross salue ces initiatives car « cela permet de concilier les apports des savoirs savants et des savoirs expérientiels dans le même lieu. Les uns apportent du crédit aux autres car ils ont deux sources de légitimité complétement différentes ». Les connaissances deviennent thérapeutiques sans hiérarchie entre les savoirs savants et les savoirs expérientiels. Sans compter que ce travail collaboratif permet d’adapter le contenu des programmes d’ETP aux besoins et préoccupations du patient, ce qui in fine améliore la relation patient-soignant.

La posture attendue du médecin

Dans un programme d’ETP idéalisé, Olivia Gross souhaiterait que le médecin soit plus impliqué et qu’il fasse preuve d’une posture plus éducative afin de faciliter et consolider sa relation avec le patient. Isabelle Griffoul, rhumatologue, très impliquée dans la définition et l’animation des programmes d’ETP de son service, reconnaît l’importance d’une telle implication mais explique qu’« il faut y être sensibilisé sachant que le mieux serait d’y être formé ». Au-delà des seules séances d’ETP, un partenariat de soins doit s’instaurer entre deux parties qui se font confiance et se respectent. « S’exprimer sans être jugé » est notamment un vœu de Corinne Chillou, maman d’un enfant hémophile. « Que le médecin puisse se mettre à la place du patient » dont les envies et les attentes ne sont pas toujours compatibles avec les contraintes imposées par la maladie. Elle souligne également que « ce n’est pas toujours facile de se comprendre » avec les médecins qui parlent avec « leurs mots de médecin ». Le médecin doit ainsi adopter une approche pédagogique. Olivia Gross regrette également la tendance des jeunes internes en Médecine à être déjà dans une posture de défiance : « on leur apprend à ne croire que des résultats biologiques, que ce qui est objectivable » alors que ce qui est exprimé par le malade est plus difficilement audible. Isabelle Griffoul préfère dire que « les jeunes médecins ne sont pas déjà défiants mais encore défiants » laissant envisager qu’ils puissent ne plus l’être avec l’évolution de leur pratique et leur gain d’expérience. Elle reconnaît que les consultations les plus pertinentes ne sont pas celles qui sont centrées sur la maladie et ses symptômes, mais celles qui élargissent la discussion et prennent en compte la personne dans sa globalité. Ainsi peut s’instaurer un vrai partenariat où chacun apprend l’un de l’autre et où l’un et l’autre évoluent : le patient dans la gestion de sa maladie et le médecin dans sa pratique de soins. Concernant l’attitude de certains professionnels de santé liée à la « jeunesse médicale », le Dr Gras met l’accent sur le fait que ce n’est pas une profession facile et que de « l’expérience naît l’incertitude ».

Quelle place pour internet et les objets connectés ?

A l’heure de la généralisation d’internet, le médecin n’est plus la seule source d’information du patient. Or, Isabelle Griffoul rappelle que « surfer n’est pas consulter ». Face à un patient qui a déjà acquis des connaissances, voire des certitudes, le médecin doit prendre le temps de les remettre en perspective et le conseiller dans sa recherche, voire le mettre en garde (apprendre à sélectionner les informations brutes, savoir identifier les liens commerciaux, faire attention à l’information que le patient confie sur les sites internet, etc.)

Face à la diffusion croissante des objets connectés, l’accompagnement du patient et la construction d’une relation partenariale peut passer par l’adoption et l’appropriation de nouveaux outils numériques (coordination des acteurs, suivi des patients, relevé de paramètres, contrôle de l’observance, etc.). Selon Guillaume Gras, infectiologue, l’expérience montre que « l’avantage d’une application n’est jamais là où on l’avait pensé ». Ce qui semble certain c’est qu’elle doit être pensée par l’ensemble des parties prenantes concernées pour que chacune trouve un intérêt à l’utiliser sur le long terme. Procéder par essais - erreurs est aussi incontournable pour que l’application soit adaptée. A titre d’exemple, des patients en service d’infectiologie utilisent un pilulier électronique d’aide à l’observance. Celui-ci permet au patient de recevoir un SMS automatique en cas d’oubli, et si le médicament n’est pas pris pendant 3 jours consécutifs, le soignant est contacté. Cela peut ainsi mettre en relation patient et soignant en dehors des consultations habituelles. Alors que les patients pourraient être réticents vis-à-vis d’applications qui contrôlent leurs paramètres et/ou surveillent voire orientent leurs comportements, « ils décrivent plutôt une forme d’alliance thérapeutique » (Guillaume Gras).

Il s’avère que la relation patient-soignant devient moins paternaliste au profit d’un rapport plus horizontal sous l’effet de l’autonomisation du patient, de son accès décuplé aux informations et de son savoir expérientiel. L’application en France d’une décision médicale partagée et la participation de patients intervenants dans les programmes d’ETP ou dans les recherches, confirment qu’une plus large place est donnée au patient. Le Canada va plus loin en considérant le patient comme un membre à part entière de l’équipe soignante, son savoir expérientiel lui permettant d’acquérir le statut de soignant. Même si elle est moins avancée, reconnaissons que la conception française de la relation partenariale médecin-patient connaît une évolution positive, l’enjeu étant l’amélioration de la santé et du bien-être des patients.

 

« Ce document est la propriété des auteurs. Ni ce document, ni les informations contenues dans celui-ci ne peuvent être reproduits, discutés ou divulgués sans l’autorisation écrite de ses auteurs.»

Juliette Evon, Fanny Monmousseau et Margaux Nistar

Axe Sciences Humaines et Sociales du programme ARD 2020 « Biomédicaments »



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